Ce fléau sévit en milieu scolaire, freinant le cursus des élèves-fumeurs.
L'ambiance est bruyante ce mardi 4 octobre au lycée de Ngoa-Ekellé à Yaoundé. C'est le jour fixé pour la fouille des sacs des élèves par les surveillants. La chaleur qu'il fait ne décourage pas les encadreurs. Téméraires, ils passent et repassent leurs mains dans les recoins des cartables en guettant la moindre cigarette ou autre drogue. Une fouille nécessaire d'autant plus que 300 000 jeunes élèves âgés entre 10 et 15 ans sont des usagers du tabac et de ses produits d’après les données du Global Youths Tobacco Surveys de 2014. Des chiffres qui n'étonnent pas vraiment Joseph Bisse, enseignant d'informatique au lycée de Ngoa-Ekellé.
Durant ses cours, il dit constater de fréquents allées et venues de certains de ses élèves entre la salle de classe et l'extérieur. M. Bisse soupçonne que certaines de ces sorties intempestives sont des prétextes pour fumer une clope. En effet, la dépendance à la nicotine contenue dans la cigarette peut expliquer ces envies subites de sortir. D'ailleurs, les données de février 2015 de l'Ins soulignent qu'un fumeur chronique tombe en moyenne 7 à 8 bâtons de cigarette par jour, soit 10 paquets (de 20 cigarettes chacun) par mois. Ce qui fait dire à des spécialistes que la cigarette a des effets déplorables sur le cursus scolaire du jeune fumeur. En témoignent ceux qui font les frais d'exclusion dans les établissements scolaires.
Expérimentation
«Il y aura effectivement un désinvestissement sur le plan scolaire», prévient Dr Laure Menguene, psychiatre, par ailleurs sous-directeur de la santé mentale au ministère de la Santé publique (Minsanté). A ce propos, Arthur, 19 ans, élève au Lycée Leclerc de Yaoundé, se souvient de son camarade de classe Enama, exclu l'année dernière pour consommation de cigarette. Nous sommes à la sortie des classes et Arthur fait un flash-back à la fois douloureux et amusant en parlant de cet ami. «Il arrivait en classe déjà pinté, avait un comportement bizarre et comptait parmi les plus turbulents», se souvient le jeune homme en fronçant les sourcils.
Le parcours d'Enama, alors en classe de 1ère C au Lycée général Leclerc, a pris fin au premier trimestre. «J'ai perdu sa trace», regrette Arthur qui, aujourd'hui, prépare le baccalauréat C. Il soupçonne par ailleurs que son ancien ami associait la cigarette à une autre drogue. «La cigarette est la porte à toutes les autres drogues», avise Magloire Awono, secrétaire permanent du Comité national de lutte contre la drogue (Cnld). Ce fervent acteur de la lutte contre le tabac souligne que les contextes d'expérimentation de la première bouffée de cigarette sont les «bals de finissants et autres activités post et périscolaires».
Pourtant, pour d'autres, le tabac est un produit inoffensif. «Quand je travaillais dans la région du Nord du Cameroun, j'ai lu un tract qui signifiait que la cigarette rend intelligent», lance un encadreur pédagogique ayant requis l'anonymat. «Je me rappelle que quand j'étais plus jeune, mes amis fumeurs étaient en série C et étaient plutôt bons», poursuit-il, persuadé que la cigarette est facteur de bonnes notes à l'école. «Que non ! Ce préjugé provient d'un leurre fabriqué par l'industrie du tabac pour mieux vendre», affirme Magloire Awono.
Comportements déviants
«La cigarette contient effectivement du glycérol, un produit qui maintient le fumeur en éveil et peut occasionner des insomnies que certains utilisent pour feuilleter leur cahier. Mais il ne rend en aucun cas intelligent», martèle Faustin Eteme, ancien employé d'une industrie du tabac et témoin de la fabrication de la cigarette. «Si cela rendait un tant soit peu intelligent, l'auteur de cette pensée un peu conne serait déjà sans doute prix Nobel de mathématiques», s'insurge un parent dont le jeune beau-frère est aux prises avec la cigarette. Il redoute les problèmes respiratoires et maladies que cause cette «saloperie».
Lors d'une conférence initiée par la Coalition Camerounaise Contre le Tabac (C3t) en juin 2015, le Dr Stéphane Mbam Mbam, médecin en service au bureau de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Yaoundé, rappelait le chapelet de cancers et autres maladies chroniques causées par le tabagisme. Des affections que Okala, élève en 1ère A au Lycée général Leclerc, dit en avoir entendu parler. «Je ne fume pas et c'est rare de voir des fumeurs ici-au Lycée Leclerc-, dit-il. Par contre, au Lycée d'Ekounou, on mange seulement la cigarette !», relève-t-il, moqueur. «J'y ai fréquenté et je vis dans ce quartier !», rajoute-t-il face à l'étonnement du reporter.
Un tour au Lycée Leclerc puis au lycée technique d'Ekounou permet de constater que des mesures conservatoires sont prises par les proviseurs pour contrer la voie au tabagisme. «Nous procédons régulièrement aux causeries éducatives pour sensibiliser nos élèves», jure Daniel Njeng, proviseur du lycée technique d'Ekounou. L'année dernière, il a exclu un élève dont le sac contenait du chanvre indien. M. Ndjeng déplore le mutisme des parents face aux dérives de leurs enfants. «Certains parents ont honte d'en parler en public. Chaque parent idéalise un peu son enfant. Un tort !», martèle Dr Georges Mboe, psychologue et enseignant. Ce dernier rappelle que le tabagisme ouvre la voie à la débauche sexuelle et autres comportements déviants de l'adolescence.
Décryptage
En l'absence d'une loi antitabac, le phénomène perdure tandis que les points de vente se multiplient autour des écoles.
Il fut un temps où le professeur de mathématiques typique n'hésitait pas à sortir un bâton de cigarette pour fumer en plein cours, entre deux équations au tableau. Ce temps est certes révolu mais beaucoup reste à faire pour éradiquer le tabagisme en milieu jeune. «Effectivement, de nombreuses directives sont prises par les ministères en charge de l'éducation. Le challenge est de les faire appliquer», remarque Magloire Awono, secrétaire permanent du Comité national de lutte contre la drogue (Cnld). Il rappelle la lettre circulaire d'août 2007 portant création des espaces non-fumeurs et des clubs anti-tabac en milieu scolaire.
Au milieu de cette flopée de mesures, l'industrie du tabac ne démord pas. Elle se fait présente aux environs des établissements scolaires avec des outils et actions de communication incitatives à la consommation du tabac. Au terme d'une enquête sur la publicité, la promotion et la vente du tabac dans les écoles primaires et secondaires de Yaoundé, la Coalition camerounaise contre le tabac (C3t) tire des conclusions alarmantes : autour de 20 écoles, les enquêteurs ont dénombré 173 points de vente de produits de tabac dans un rayon de 100 mètres ; soit en moyenne de 9 points de vente par école. Lesdits points de vente comprennent les kiosques de commerce général, call-boxes, supérettes, supermarché, etc. on a pu dénombrer 173 points de vente autour de 20 Etablissements de la ville de Yaoundé soit une moyenne de 9points de vente par Ecole.
Une publicité subtile que les acteurs de la lutte antitabac déplorent, en appelant de tous leurs vœux la promulgation d'une loi antitabac au Cameroun. Laquelle permettra de réguler le commerce, la distribution et la consommation des produits du tabac. Le député Pierre Laoussou se dit conscient de cet enjeu. Président du Réseau parlementaire antitabac créé en 2014, il regrette d'être quelque peu impuissant pour l'adoption d'une loi antitabac au Cameroun. La cinquantaine de membres de ce réseau parlementaire se butent sur des restrictions budgétaires et politiques pour faire aboutir leur plaidoyer. «Nous ne savons pas exactement pour quelle raisons le projet de loi antitabac est bloqué et où il se trouve», lance M. Laoussou avec lassitude. «Nous pensons qu'il se trouve à la présidence de la République en attendant qu'il soit acheminé à l'Assemblée nationale», lâche-t-il sans conviction.
L'autre alternative serait qu'une proposition de loi antitabac soit soumise à l'Assemblée nationale par les députés représentant d'un parti politique donné.
Ceci aux fins d'engager le débat à l'hémicycle. Mais un observateur politique avise qu'«il est difficile qu'une proposition de loi prospère si elle ne vient pas du parti politique représentant la majorité», en l'occurrence le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (Rdpc, au pouvoir). La porte de sortie du blocus est indéniablement que l'initiative soit portée par le gouvernement (dans ce cas, on parle d'avant-projet de loi, Ndlr) au terme du plaidoyer du ministère de la Santé publique (Minsante).