Dans une interview accordée le 25 Septembre 2017 à un Hebdomadaire camerounais Repères, la Présidente de la Coalition Camerounaise Contre le Tabac (C3T) appelle à une synergie d’action afin de protéger les jeunes contre les dangers du tabagisme. Ci-dessous, l’intégralité de l’interview.
Le tabagisme a-t-il atteint la côte d'alerte au Cameroun ?
Oui pour plusieurs raisons :
Les prévalences sont inquiétantes. L'enquête globale sur le tabagisme chez les adultes menée en 2013 dans notre pays par l'Organisation mondiale de la santé, en partenariat avec le Ministère de la Santé publique et l'Institut national de la Statistique montre que plus de 1million de camerounais sont des fumeurs réguliers et actifs, et que près de 7 millions de nos compatriotes sont exposés à la fumée de la cigarette . La même enquête menée chez les jeunes en 2014, relève une prévalence de 10,1%, soit précisément 300.000 jeunes âgés de 13 à 15 ans qui consomment régulièrement ces produits dangereux et mortels.
Sur le plan sanitaire, on note que le tabac est responsable des maladies graves et le tabagisme est le premier facteur de risque des principales maladies non transmissibles invalidantes et mortelles que sont le diabète, les maladies cardiovasculaires, les maladies pulmonaires chroniques et de nombreux cancers. Fumer est nocif pour la femme enceinte qui risque de perdre son bébé ou encore de faire un enfant de petit poids. Fumer rend impuissant et j'en passe.
Parlant toujours des risques sanitaires, j'aimerais ajouter que le non fumeur exposé à la fumée présente les mêmes risques de faire une maladie. C'est le tabagisme passif qui est un danger pour tous.
Sous réserve des études plus approfondies qui permettront d'avoir des données beaucoup plus exactes, l'on estime actuellement qu'au moins 2700 camerounais perdent la vie chaque année du fait du tabagisme.
L'Etat fait-il ce qu'il faut contre ce phénomène ?
L'Etat n'est pas indifférent. Il a prouvé son engagement en ratifiant la Convention Cadre de l'OMS pour la lutte antitabac en 2006. Ce premier traité international en matière de santé indique ce qu'il faut faire pour protéger les populations des dangers liés au tabac. Malheureusement depuis ce temps les choses bougent très lentement. La mise en œuvre est insuffisante. Les dispositions de ce traité n'ont pas été intégrées dans la législation nationale de même qu'on peut déplorer l'absence des financements de la lutte antitabac dans le budget national, contrairement aux exigences de la CCLAT. La lutte anti-tabac a été abandonnée au seul Ministère de la Santé Publique alors que c'est un problème multisectoriel. Nous pensons qu'avec la création de la Commission multisectorielle antitabac les choses vont évoluer dans le bon sens pour le bien être des camerounais. Il reste aussi à espérer que la lutte antitabac soit prise en compte de manière globale dans les politiques et stratégies nationales de développement. L'Etat doit en effet considérer la lutte anti-tabac comme un des moyens d'atteindre les ODD puisque un des objectifs lui est consacré.
Il faut aussi tenir compte des fortes manœuvres de l'industrie. Cette dernière interfère et bloque toutes les démarches visant à améliorer le contrôle du tabac. Pourtant il ne s'agit que de réglementer et, principalement de protéger la jeunesse.
La société civile doit également s'engager de façon plus franche et visible pour accompagner l'Etat qui ne peut pas tout faire.
Votre plaidoyer en faveur d'une Loi anti-tabac semble vain, malgré vos multiples recommandations ?
La loi anti-tabac est la meilleure garantie de protection des populations camerounaises des méfaits du tabac. Elle permet d'intégrer les dispositions de la Convention -Cadre de l'OMS de lutte antitabac (CCLAT) dans le dispositif législatif national. Le Cameroun en ratifiant ladite convention en a pris l'engagement. Il est juridiquement lié par les dispositions de la CCLAT qui oblige les Etats parties, à adopter et appliquer des mesures législatives, exécutives, administratives et/ou d'autres mesures efficaces pour prévenir et réduire la consommation de tabac. Il est donc clair que quand l'agenda des décideurs le permettra, le Cameroun aura une loi antitabac afin de respecter l'engagement pris au niveau international. Cette loi, pour être conforme à la Convention-Cadre de l'OMS, doit comporter au minimum : Une interdiction totale de la publicité en faveur du tabac et des produits du tabac, le marquage sanitaire graphique des emballages des produits du tabac, la création des espaces 100% sans fumée et des dispositions pour une augmentation régulière des taxes. Une bonne loi doit interdire la vente aux mineurs et par les mineurs et encadrer les activités de l'industrie. Beaucoup de pays africains près de nous disposent déjà d'une loi antitabac. C'est le cas du Tchad, du Gabon, du Congo Brazzaville, du Togo et plus récemment du Bénin.
Les dangers du tabac sont maintenant connus de tous et les Etats font le nécessaire pour protéger les populations. Le Cameroun ne peut que suivre le mouvement.
Votre message à l'endroit de la communauté des consommateurs de cigarettes ?
La plupart des personnes qui consomment la cigarette commencent à le faire par plaisir et surtout par imitation. Elles pensent qu'elles arrêteront quand elles le voudront. Malheureusement elles se retrouvent prisonnières, enchainées à la nicotine par une dépendance forte.
Aujourd'hui beaucoup de fumeurs savent que le tabac est un poison. La cigarette contient plus de 4000 substances nocives parmi lesquelles une cinquantaine de produits cancérigènes.
Mon message est un message d'espoir et s'exhortation. Les effets bénéfiques de l'arrêt sont rapides et durables. Il faut prendre la décision de ne plus fumer, quel que soit la méthode, le nombre de tentatives et la durée du processus. Il est parfois nécessaire de se faire aider par sa famille ou par le personnel médical.
En guise d'exhortation, nous disons qu'il faut surtout éviter de fumer en présence d'autrui, en particulier des enfants. Nous espérons que nos petits-enfants fassent partie d'une génération sans tabac.